Pianoforte [Liste]

- Et qui est le suivant ?
- La. C’est une jeune fille de 24 ans, une des deux filles du ministre des affaires étrangères.

Fabien se renfonça dans son siège, le programme posé sur ses jambes. Sa mère l’avait traîné à ce concours de jeunes pianistes, et sans vouloir l’offenser elle, ou même la haute société, il s’emmerdait. Comme un rat mort.
La jeune fille entra, en robe de soirée noire. Elle lui allait bien. Ne robe simple allant jusqu’aux genoux avec un léger décolleté. Elle mettait en valeur ses longs cheveux blonds angéliques.
Fabien grimaça.
Une fille sage, qui allait jouer une mélodie sage.
La haute société était décidément bien chiante.

La jeune fille regarda, timide, le public. Elle s’approcha du siège, le régla, puis enfin, s’assit.
Le silence régna, jusqu’à ce qu’elle touche l’ivoire. Une douce musique s’éleva lentement dans l’air, jusqu'à envahir toute la salle.
Sa mère aurait sûrement pu dire le nom du compositeur.
Pas lui.
Il se préparait à dormir, vu la berceuse que cette petite fille à papa riche jouait, mais fut tout à coup surprit pas un léger, petit certes, mais étonnant détail.
La musique accélérait.
Il vit clairement à la mine abasourdie de sa mère que ce n’était pas normal.
Pourtant, la musique continuait d’accélérer, encore et encore, jusqu’à devenir endiablée.

Fabien ouvrit de grands yeux, reconnaissant peu à peu l’air qu’elle jouait.
Cette fille était en train de mélanger de la musique classique avec du folklore irlandais !
Se relevant un peu, il l’observa attentivement. Elle s’était relevée, projetant son siège quelques dizaines de centimètres plus loin.
Ses doigts volaient littéralement au dessus des touches, enchaînant croches à un rythme effréné, son pied tapant le tempo, sourd, sur le planche.

Le jeune homme du bien s’avouer à lui-même que cette fille – Catherine Duval, selon le programme – le fascinait. Elle devait avoir un immense talent pour pouvoir ainsi mélanger deux styles de musique aussi différents.
Fermant les yeux, Fabien écouta. Il écouta, avec attention, les échelons de notes, les coups sourds tapés du pied, l’âme en elle-même, hybride, de la musique irlandaise et classique.

Il pu le voir, le pub irlandais d’où sortait cet étrange mélange. Il pu y entendre les rires, y toucher une chope remplie de bière, la sentir et y goûter, ivre de joie…
Le chant du piano continua, partant dans les aigus ou dans les graves, à tour de rôle, usant ses cordes pour la beauté de la musique qu’on lui demandait de jouer.
L’ensemble se finit en apothéose, laissant la jeune fille essoufflée, le public frissonnant, choqué et pourtant écrasé de béatitude.
Un silence blanc envahit la pénombre. Pendant de très longues secondes, rien ne bougea.
Et tout à coup, enfin, un applaudissement. D’abords esseulés, puis vite rejoint par d’autres, encore et encore.

Catherine rougit.
Ça allait sûrement faire jaser, une fille « bien élevée » jouant ça à un concours de classique…
Trois rangs plus loin, dans le public, un jeune homme sourit devant la mâchoire décrochée de sa pauvre mère.
Cette fille était une exotique, pas de doute là-dessus.


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