Poète a la poubelle [Liste]

Jolan cacha précipitamment une feuille couverte de son écriture sous un classeur, alors que la prof d’espagnol passait près de lui.
Ecrire de la poésie en classe était décidemment très ardu. Surtout quand la prof ressemblait plus à un dragon qui aurait une rage de dent particulièrement douloureuse, qu’à une représentante de la gente féminine. Le plus discrètement possible, tout en gardant un œil sur « l’alligator », il souffla à son voisin :

- Tu connais quelque chose qui rime avec « or » ?

Son ami, David de son prénom, haussa un sourcil, vaguement amusé, et tira la feuille précédemment dissimulée, sous les protestations énergiques de son auteur. Un soupir.

- Tu écris encore pour elle ? C’est absurde. De toute façon, elle ne lit jamais tes poèmes, vu que tu les jettes tous… Je crois que tu devrais arrêter de faire ça… Ou tout du moins de lui écrire. J’ai l’étrange impression qu’en faisant ça, tu gâches ton talent.

Jolan observa un instant son ami, reprenant sa feuille au passage, puis la regarda elle.
C’était vrai qu’il l’aimait tellement qu’à chaque fois qu’il essayait de lui donner un poème, il finissait par trouver qu’il n’était pas assez bien pour elle, et allait le jeter dans la poubelle de la classe.
Observant son poème, il finit par rajouter une petite rime à la fin, puis soupira.

- Tu as sûrement raison…

Roulant la feuille en boule, il la posa à côté de sa trousse et se concentra enfin sur son exercice d’espagnol qu’il n’avait toujours pas touché depuis le début du cours, espérant secrètement que l’alligator ne ferait pas jouer de ses mâchoires.
Lorsque la fin des cours sonna, ils sortis de la classe aussi tranquillement que d’habitude, jetant le déchet dans la corbeille à papier.

Sans savoir que quelqu’un allait la rechercher un peu après.
Aurore aimait vraiment les poèmes de Jolan. Ils étaient sincères, même si quelques fois une faute d’orthographe transparaissait.
Mais surtout, même si David lui disait tout le contraire, il était doué. Très doué.
Ses haïkus étaient les meilleurs, d’ailleurs.

Le lendemain, sur son bureau, il retrouva le poème, défroissé. Une petite ligne était écrite, en dessous, d’une main légère et sans défaut. Il sentit son cœur s’accélérer.

« N’arrête pas, s’il te plait. »

Il connaissait son écriture. Il la connaissait même parfaitement. Il avait travaillé, un jour, avec elle. Aurore.
Se tournant vers elle, il se rendit compte qu’elle le regardait, et même mieux, qu’il lui souriait.
Lui rendant doucement son sourire, il se retourna, et gribouilla quelques mots sur le papier qu’il lui envoya en le pliant comme un avion. Dessus, trois lignes était écrites.